Le retour du prodige du plat pays dans les bacs passé au crible !
• Welcome back maestro ! ⇒ Avant de véritablement plonger dans le vif du sujet, remontons quelque peu le temps et revenons ainsi en août 2013 alors que Stromae publie « √ », son deuxième album au succès pharaonique, écoulé à plus de deux millions d’exemplaires rien qu’en France. Face à cette consécration retentissante, l’auteur de tubes inoubliables – tels que « Alors On Danse », « Formidable », « Up Saw Liz » ou encore « Tous Les Mêmes » et « Papaoutai » parmi tant d’autres – part littéralement aux quatre coins du globe. Ce pour défendre l’opus, vous en conviendrez, mais également répondre à la demande d’un public en pleine expansion, on ne peut plus séduit et adepte du génie créatif de l’artiste belge à qui tout sourit ! De fait, jusque fin 2015, Monsieur Paul Van Haver – de son vrai nom – aura donné pas loin de 210 concerts, dont plus de la moitié à travers l’Europe.
Malheureusement, le revers de la médaille aura contraint l’intéressé à raccrocher les gants, et à veiller de toute urgence sur sa santé, relativement inquiétante d’après les témoignages de son entourage. Stromae ne travaillera alors plus que dans l’ombre, à son rythme, pour d’autres artistes de grande envergure, de Dua Lipa à Coldplay en passant par Billie Eilish et son ami de longue date OrelSan pour ne citer qu’eux. Il marquera quelques rares apparitions néanmoins, dont l’une aux côtés de ce derniers pour les besoins de l’immanquable « La Pluie » en 2017 (ndlr : extrait de l’album du rappeur caennais « La Fête Est Finie ») ou l’année suivante avec l’inédit et hors-série « Défiler », le thème original de sa marque de vêtements Mosaert.
Ce parcours, certes triomphal mais non moins sinueux, aura imposé Stromae parmi les game changers de toute une génération, parfois imité mais jamais égalé. Alors, lorsque le 15 octobre dernier il marque son grand retour par surprise, pour le plus grand bonheur de toutes et tous, quelque chose d’historique se produit. Huit années d’absence n’auront en rien impacté la superbe du jeune papa. Au contraire, l’engouement demeure toujours aussi monstrueux, d’autant plus lorsque « Santé », son nouveau single, vient s’inscrire parfaitement dans l’air du temps en pleine pandémie, et s’adresse à celles et ceux que l’on oublie. Le ton est donné, en route à présent pour un troisième et nouveau disque !
• L’humain avant tout ! ⇒ Forcément, « Santé » n’est qu’une facette de « Multitude », le troisième opus du chanteur annoncé à quelques encâblures de Noël seulement. Le disque, programmé pour ce vendredi 4 mars 2022 ne souhaite pas pour autant s’effeuiller de plus belle en amont. Comme pour abreuver d’impatients supporters et d’impatientes supportrices, avides de dévorer au plus vite l’ensemble de l’œuvre.
Cependant, Stromae crée l’événement – de nouveau par surprise – en direct du journal télévisé de TF1 ce jeudi 9 janvier, aux côtés d’une Anne-Claire Coudray contemplative du talent de son invité d’exception. En effet, pour rappel, il y présente, en toute fin d’entretien, le sensible et délicat « L’Enfer » au travers duquel il évoque les lourdes conséquences de la dépression, les pensées suicidaires qui ont pu tristement marquer son quotidien, et la grande difficulté de s’en détacher.
Accueil retentissant à la suite de la prestation, remarquable performance par ailleurs, qui aura délié la parole et davantage sensibilisé à la prévention, à la nécessité de ne pas hésiter à demander de l’aide. Encore une fois, l’auteur-compositeur-interprète de génie laisse place à l’humain, pense à l’autre tout en relatant son expérience, ses douleurs les plus enfouies, et repousse les barrières quelles qu’elles soient. Une chose est sûre, les douze pistes qui composeront « Multitude » devraient s’inscrire dans la veine de ces deux premiers extraits. Et ainsi parler au plus grand monde, davantage accentuer sur les émotions parfois tabous, sur lesquels nous pourrions être amenés à fermer les yeux, malgré nous.
• Qu’en est-il donc de ce troisième essai ? ⇒ Voilà qu’un peu plus de huit années durant lesquelles il s’est résolument raréfié sont désormais achevées. « Multitude » est enfin nôtre depuis ce matin, 00h01 pour être tout à fait précis. Et bien évidemment, nous ne pouvions manquer l’occasion de vous débriefer notre expérience d’écoute, après avoir amplement savouré ces deux mises en bouche que sont respectivement « Santé » puis « L’Enfer ».
D’entrée, l’« Invaincu » Stromae répond à ce à quoi nous nous attendions, à savoir un travail de fond et de forme autour de l’humain et de ses complexités. Affaibli mais toujours debout, c’est ainsi qu’il donne le la et rend compte des différents traits de caractères qui définissent l’Homme au sens le plus large du terme. Malgré les épreuves et les difficultés, il en appelle à travers le prisme de son vécu à ce que chacun se batte pour relever la tête de plus belle, s’atteler à de meilleurs lendemains et affirmer sa force d’esprit, sa puissance morale. Cette introduction en la matière n’est autre, à notre sens, que l’extension la plus sincère et pure de ses convictions et valeurs, avant de plonger au cœur de thématiques tantôt plus lourdes, tantôt plus légères.
Stromae ne manque en effet pas d’explorer l’infidélité et l’épuisement au cœur même d’une routine de couple le temps du contrasté « La Solassitude », et de traiter ce sentiment plus tard avec davantage de dérision au gré de l’humoristique et décalé « Mon Amour ». Aussi, l’artiste dresse un constat quant au regard des gens, incompréhensifs et dédaigneux face à la difficulté par le biais du bouleversant et fictif « Fils De Joie » où il traite avec délicatesse le sujet de la prostitution et cette malheureuse option qui atteste de la nécessité de dernière instance de vouloir s’en sortir pour le bien-être de sa famille, se mettant ainsi dans la peau de l’enfant contemplatif et reconnaissant auprès de sa mère.
Dans « C’Est Que Du Bonheur », Paul se veut plutôt introspectif et va conter avec légèreté son rôle de jeune papa, depuis trois ans maintenant, et témoigne de la joie que lui apporte son bambin au quotidien tant celui-ci lui aura permis de retrouver l’équilibre, redonner un tout autre sens à sa vie. Au travers du titre suivant, « Pas Vraiment », Stromae poursuit son exploration des valeurs familiales et semble dédier cette chanson à sa femme, qui a su être l’épaule réconfortante, le soutien indéfectible dont il avait grandement besoin lorsque a basculé sa vie dans la dépression. Eux deux contre le reste du monde quelque part, au-dessus des jugements et spéculations quant à l’éventuelle durée de leur relation. Comme quoi le véritable amour est bien plus fort quoi qu’il arrive !
Par l’intermédiaire de « Riez », cette fois le prodige évoque la pauvreté. Celle qui quelque part permet aux concernés de vouloir s’affranchir en se projetant dans un avenir où la réussite dicte leur rythme de vie après avoir suffisamment galéré. Le maître mot d’ordre est simple : se surpasser pour rêver plus grand encore. Dans le très actuel « Déclaration », Stromae y va de son morceau engagé et prône le féminisme dans un monde où les inégalités sont encore injustement trop palpables.
Pour finir le disque, Stromae oppose les humeurs à l’aide d’un diptyque habilement ficelé : « Mauvaise Journée » et « Bonne Journée ». Ces deux titres respectifs nous paraissent la synthèse tout à fait cohérente de l’ensemble des dix titres précédents. Textuellement et musicalement parlant, il adapte son propos en fonction de deux moods bien distincts, vous en conviendrez, et célèbre avec bienveillance et pureté les paradoxes qui constituent l’être humain et en font néanmoins sa splendeur la plus incarnée et authentique.
• Et la production ? ⇒ Dans la lignée de ses deux premiers essais, Stromae met un point d’honneur évident à la musique électronique qui l’aura propulsé parmi les icônes de toute une génération. Mais le jeune homme a su renouveler son art et n’a pas hésité à apporter une touche davantage organique à ses productions, en faisant appel à d’autres musiciens venus lui prêter main forte afin de caler quelques accords d’ehru, vièle chinoise, sur « Ma Solassitude », de ney, flûte persane, au gré de « Pas Vraiment » ou encore de « charango » pour les besoins de « Mauvaise Journée », de cumbia sud-américaine dans « Santé ». « Multitude » prend là également tout son sens tant ses influences viennent savoureusement nourrir un voyage international et transcendant au plus près de cultures méconnues de l’occident.
En somme, Stromae signe avec « Multitude » un véritable chef-d’œuvre, un sans faute de bout en bout, certes court puisque sa durée d’écoute n’excède pas les quarante minutes. Néanmoins, la qualité est tout à fait au rendez-vous, et le disque sait se laisser écouter inlassablement dans son entièreté sans faillir à sa mission : réunir, transcender, contrecarrer les préjugés, repousser les barrières, faire preuve de bienveillance et de sympathie aussi bien dans la souffrance que dans les instants les plus lumineux. Une réelle pierre précieuse que Paul ajoute à merveille à sa discographie on ne peut plus extraordinaire ! Bravo, et merci pour ce prestigieux retour !